Jean Louis SCHMITLIN - PrésidentPas une décision dans les entreprises et les administrations françaises n’échappe à cette valeur partagée qu’est l’immobilisme : la France, championne du pessimisme, condamnée aux blocages institutionnels, n’a-t-elle d’autre choix que la gestion de crise et le “ serrage de boulons ” ? Pour en sortir, pourquoi ne pas utiliser notre meilleure arme ? Quand la volonté se mêle à l’inquiétude, les Français semblent sublimer leurs divisions. Et cela fait un plan.

Quand la France s’est découverte en retard, elle a souvent su dans le passé réagir de façon exceptionnelle. Le rattrapage du téléphone hexagonal ou l’équipement électrique dans les années 70 sont des exemples de réussite pas si loin de nous. Appliquons cela aux métiers de demain. Il existe des domaines dans lesquels nous pouvons vite rattraper notre retard, puis prendre l’avantage. L’un de ces métiers est la télémédecine. Nul ne l’ignore, demain, nos signes vitaux (tension, électrocardiogramme, glycémie) pourront être examinés de là où nous nous trouvons (même au pôle Nord) par un centre médical distant.

Demain, notre médecin généraliste obtiendra instantanément les services d’un grand spécialiste. Demain, nous serons “ coachés ” à distance si nous devons subir à domicile une affection de longue durée. Nous avons déjà en France de belles réussites technologiques : le suivi par le Samu des navires de commerce français où qu’ils se trouvent, les programmes Vigisanté et Diabeo de gestion de patients à domicile, par exemple. Cependant, nous en sommes seulement au stade des projets pilotes, alors que nos voisins se trouvent souvent à celui de l’industrialisation (Etats-Unis) ou de l’expérimentation massive (Allemagne, Norvège).

Notre système de santé a un caractère spécifique : conçu pour serrer les coûts dans une vision court-termiste, il est mal à l’aise pour lancer les nouveaux métiers comme la télémédecine. Dans une culture de management souvent basée sur le rationnement, beaucoup de décideurs s’autocensurent dès qu’il s’agit d’investissements d’innovation, car il leur sera plus facilement reproché d’avoir surinvesti dans des projets incertains que d’avoir raté une occasion de réinventer l’avenir.

Obnubilés par la nécessité de disposer de preuves cliniques incontestables, ils scrutent dans le moindre détail cet Ovni qu’est la télémédecine et se contentent d’investir dans de petites expérimentations tout en exigeant un niveau technique et médical irréprochable. Etre intraitable sur le plan normatif et investir peu, c’est le plus sûr chemin pour l’impuissance. Nous en mourrons.

« Nous pouvons rattraper notre retard et même prendre l’avantage »

Nous n’aurons pas d’industrie de la télémédecine en France dans ces conditions. La Silicon Valley existe parce que les investisseurs et leurs clients (souvent l’armée américaine) font des paris très tôt lors de l’apparition d’une nouvelle industrie. Cela fait de magnifiques crashes, mais aussi des Apple et des Microsoft.

Si nous continuons à ne pas investir, les systèmes médicaux continueront d’être fabriqués en Chine et aux Etats-Unis (la balance commerciale est déficitaire de 50 % dans les dispositifs médicaux). Il faut donc inverser cette mécanique du sous-investissement en respectant deux principes simples. Le premier consiste à viser les applications qui peuvent facilement justifier l’investissement par une baisse des coûts rapide et une évidente amélioration de la santé publique.

Ainsi, mettre de la télémédecine dans toutes les maisons de retraite se “ rembourse ” en deux ans par la baisse des frais de transport et diminue l’embouteillage des urgences hospitalières. Le second porte sur l’investissement. En un mot, il faut passer à un vrai plan de développement et faire de la télémédecine une partie du prochain volet des investissements d’avenir annoncés par le président de la République.

Jean Louis SCHMITLIN
Président